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"SAHAR"
ARTSHOPPING 2018 Salon International d'Art Contemporain
Paris, Carrousel du Louvre 19-20-21 ottobre 2018 
14 Octobre 2018
Andrea Fallini
SAHAR ( سحر ) est un terme d’origine arabe, souvent utilisé encore aujourd'hui comme prénom féminin, qui peut être traduit comme "aube" même si, en réalité, son sens précis serait celui de « juste avant l'aube ». Dans la tradition hébraïque, « il indique le moment précis du passage des ténèbres à la lumière et des deux il porte le message. »
Contrairement à l'acception italienne dans laquelle le terme aube évoque l'idée de la clarté au stade initial, la tradition hébraïque renferme dans le terme l'idée d'obscurité étant donné qu'il n’y a pas d’ heure plus obscure que celle proche de l'aube*. « L'acception hébraïque met l'accent donc sur l'attente de la lumière, c'est-à-dire sur le moment qui précède sa manifestation. Sahar est la promesse de la fin de la nuit qui est annoncée par le chant des oiseaux qui, d'habitude, encore dans l’obscurité, pressentent l'arrivée du jour. »

Et c'est certainement l'implication symbolique de ce moment de passage (nuit-jour) qui a poussé BZanconato à en faire le titre de l'exposition (au-delà du titre d'une œuvre) qu'elle présente au Carrousel du Louvre de Paris à l'occasion de l'édition d'octobre d'ArtShopping2018. Dans cette décision de l'artiste, il y a le reflet des événements personnels récents qui l'ont vue aux côtés du père dans ses derniers mois de vie. Et "Sahar" est la synthèse parfaite d'une réflexion sur la vie que BZanconato a développé dans le parcours à côté du père et qui maintenant est proposée dans l’exposition au Carrousel du Louvre.
A  cela s’ajoute le dualisme implicite dans le sens symbolique de Sahar, qui est, en même temps, nuit et jour, le moment le plus obscure mais aussi d’attente de la lumière.

Dualisme qui pénètre, à des niveaux différents, les thématiques proposées par les oeuvres en exposition, qui, en affrontant le sujet de la mort (taboue irrésolue aussi de notre société contemporaine), jettent une lumière vive sur la vie. Ce rapport dynamique entre éléments opposés peut être aperçu au premier regard au milieu de l’expo qui présente, d'un côté, un pupitre qu'il soutient un livre d'artiste ("SPLEEN FLOWERS"), et, au centre, placé sur une base qui le soulève de terre, un bateau sur lequel s'assied une silhouette qui fume un cigare. Le bateau, symbole ancien, rend immédiatement l'idée du passage, de l'aller dans l’au-delà (dans l'antiquité beaucoup de peuples, à partir des anciens Egyptiens ont adopté un bateau rituel pour leurs rites funèbres; dans le monde gréco-romain Caronte passait les âmes des morts dans l'Ade en les transportant d'un bord à l'autre du fleuve Achéron; dans les populations nordiques, il était d’usage d’incinérer les morts dans des bateaux funéraires). 
Si, d'un côté, le bateau est la représentation de la mort (et la silhouette avec la tête constituée par un crâne semble en donner confirmation), le livre ouvert sur le pupitre l’ est de la vie, avec ses différentes et très belles pages. Dans celles-ci on lit, entre autres, « la vie est une création continue. » 

Dans ce jeu de références dans lequel s'articule le parcours de l’expo, l'oeuvre à côté du pupitre “AND DID YOU GET WHAT YOU WANTED EVEN SO?” (Et à la fin, as-tu obtenu ce que tu voulais?), nous présente une sorte de cadran, de compteur kilométrique qui, cependant, plutôt que de représenter le nombre de kilomètres parcourus, retire un compte à rebours (le chiffre 5, en effet, suit le chiffre 6 qui desormais est hors de vue). L'état des surfaces, vintage, avec des zones amples envahies par une couche de rouille donne le sens du temps passé.
C'est l'instantané du moment dans lequel le temps va expirer et il est l'heure de faires les comptes: c’est pour cela que le problème posé par le titre devient non seulement pertinent mais urgent.  
Et émerge ici, à plusieurs niveaux, le dualisme que l’on mentionnait: à un premier niveau, l’approche de la mort jette une lumière sur la vie passée. Qui se trouve dans cette condition entend souvent l'exigence de mettre de l’ordre dans ses propres mémoires, à chercher un sens à beaucoup de moments de sa propre vie, à trouver une sorte de fil logique qui unit les étapes différentes de son existence. 
A un autre niveau, plus général, si nous voulons, la présence de la mort, comme élément constitutif et incontournable de la vie, rend unique et précieux chaque moment vécu: si l’on se rappelait que, de toute façon, la mort est juste au coin de la rue et qu’elle peut nous cueillir dans les moments les plus inattendus, peut-être, même à partir de la jeunesse, notre attitude vers la vie et ses revers quotidiens serait plus consciente, peut-être différente. 
Mais notre mentalité tend à cacher l'existence de la mort, à la limite, à la ségréguer dans des moments dans lesquels les rites et les conventions en cachent le vrai message: qui est vie. A bien y regarder, en effet, beaucoup de rites funèbres, plutôt que célébrer le défunt, ses actions, sa mémoire, son héritage, tendent à proposer de nouveau la nullité humaine devant la mort et les desseins divins, en continuant à en répandre la peur. Taboue. Par contre, la disparition d'une personne, au-delà de la douleur qu’elle comporte, devient une occasion pour rappeler que la vie est un cadeau précaire, que la personne même, avec sa vie, avec ses œuvres et ses actions, nous a laissé un message, un exemple, un héritage. 
 
Mais la question que pose l’oeuvre renvoie aussi au projet, si nous voulons le voir ainsi, de notre vie: évaluer si nous avons obtenu ce que nous voulions implique, nécessairement, d'avoir fixé au moins un objectif à obtenir vers lequel diriger nos actions. Et c’est ça le coeur du problème: la définition de l'objectif de vie qui puisse satisfaire nos aspirations les plus profondes en portant à l'accomplissement nos capacités particulières, nos talents. Comme dit la phrase dans le livre: faire de notre vie une « création continue ».
Malheureusement, la détermination et le développement des talents de chacun ne sont pas au centre de la mentalité et de l'éducation prédominante: au contraire, l'homologation et la planification des comportements sont les objectifs vrais et déguisés de la société contemporaine, dans laquelle le fait de rester au pas des modes, non seulement stylistiques ou technologiques, devient déjà un objectif de vie. Et ça ne fait rien si, dans tout ça, les aspirations individuelles profondes sont ignorées, sinon écrasées par l'étau constitué, d'un côté, de la publicité et, de l'autre, de la nécessité d'apparaître vis-à-vis du groupe social d'appartenance. 
Et ce cercle vicieux, cette rue sans sortie est le sujet de BIAS (biais), une des œuvres présentée dans le mur central de l'exposition. Du point de vue psychologique, les biais sont des fautes d'évaluation découlant d'une façon ou d'une autre d'une série complexe de facteurs que nous pouvons résumer comme le résultat d'un engagement acritique et non logique d'inputs et de conditionnements profonds de la famille, de la société, de l'éducation, de certaines expériences propres personnelles précédentes,… mais qui ne sont pas en ligne avec son propre tempérament et qui, de toute façon, conditionnent et dirigent le comportement de manière incohérente. Le problème est qu'il est plutôt difficile de s'apercevoir et puis de se libérer de ces éléments faussés inconscients qui deviennent, de plus en plus avec le temps, des éléments de bloc comportemental et qui empêchent le développement personnel.  
En plus, la vie contemporaine nous voit toujours de course, poussés par un courant dans lequel nous sommes tous immergés et dont il faut assumer la vitesse et seconder la direction. "THE SPEED OF LIFE" (La vitesse de la vie) est l'oeuvre qui affronte cet aspect: aujourd'hui la vitesse est devenue une valeur et cette vitesse elle est mesurée continuellement en faisant des instruments de mesure relatifs, une extension indispensable de la personne. Tout doit être fait et vu rapidement; tout doit être affronté et décidé en vitesse; tout le monde doit vivre non pas à 200 à l'heure (ça ne suffit plus), mais à 500 à l'heure, comme indique la représentation de l'oeuvre. Vitesse qui signifie travail totalisant, course à l'argent et à l'affirmation de soi ( affirmation toujours et seulement économique), étant donné que la valeur des gens se mesure à l'étendue de leur compte bancaire. Mais qu'est-ce qu'on perçoit à cette vitesse? Est-ce que chacun de nous veux parcourir sa vie réellement à ce rythme forcené?
BZanconato présente avec "The Speed of Life", l'idée de l'emploi du temps (et donc du parcours de vie), qui, à la lumière de ce qui a été dit, est compté et pour cela précieux. Son utilisation devient l’expression du projet individuel. Et comme pour tous les projets, aussi pour le projet humain est demandé une phase d'étude et d'analyse préliminaire avant d'entreprendre la phase de développement véritable, dans le but d'évaluer les différentes possibilités, d’adresser au mieux les choix, de mettre en évidence les points de force et de faiblesse. Et cela demande habituellement non seulement du temps mais aussi une réflexion, une analyse de nature typiquement individuelle qui, après, porte à faire des choix conscients qui tiennent compte de nos prédispositions personnelles et de nos aspirations plus profondes. A ça, s'ajoute le fait que ces choix arrivent souvent dans un moment de la vie, la jeunesse, dans laquelle beaucoup de gens n'ont pas eu encore la chance de connaître à fond leurs propres prédispositions et aspirations profondes et, en même temps, ils sont attirés par les mythes collectifs proposés par la société du consumérisme. Donc, le tourbillon rapide dans lequel nous sommes plongés plus ou moins consciemment, nous traîne rapidement vers des directions que nous n'avions même pas imaginées, enveloppés par un conformisme confortable qui réduit les questions à se poser et les décisions à prendre. 
Mais est-ce que c’est cette vie là que nous voulons vraiment ou nous avons voulu? Est-ce que c’est ça que nous avons vraiment désiré?
Pas toujours. Avec le temps on s'aperçoit avoir épousé des valeurs sur lesquelles, en réalité, l’on n'avait même pas réfléchi et avoir vécu selon les principes d'autres. 
Mais avec le temps, le caractère, le tempérament profond émerge d'une façon ou d'une autre. Il fait son chemin peu à peu, lentement. Certaines fois, il suffit de faits insignifiants pour déchaîner un cataclysme. Ou des faits douloureux qui portent à la lumière la réalité des choses. Au début la surface seulement est éraflée: seulement de petites égratignures mais qui, dans le temps, constituent une lettre. Après un mot et finalement un cri: comme celui d'une autre oeuvre en exposition: "GRITA" (cris en espagnol). Le voile de Maya est déchiré et l’on s'aperçoit des barrières qui nous entourent et des chaînes qui, d'une façon ou d'une autre, nous ont tenu liés. 

Et cela renvoie encore à la phrase du livre qui récite: « la vie est une création continue. » Et la création consiste dans le développement de l'unicité de chacun, précieuse en tant que non-reproductible. De ce point de vue, le signe que nous retrouvons dans l'oeuvre (Grita), un graffiti dans le vrai sens du terme, gravé en force dans le mur de la prison urbaine dans laquelle nombreux se sentent vivre, depersonnalisante et dépourvue de chaleur humaine, apparaît un geste de défi mais, en réalité, il représente la redécouverte et l'affirmation d'une individualité qui a des difficultés à se reconnaître dans les rites contemporains collectifs, dans la course à la consommation (et au gaspillage), dans la vision simplement économique des choses, qui oublie la partie humaine des choses qui donne un contour complètement différent à chaque chose. 
Et le cri, pour quelque vers, est l’expression du regret que certains ressentent pour avoir entendu et écouté tardivement leur voix profonde, quand la route parcourue dans une direction étrangère à eux-memes (à la vitesse contemporaine) fut si longue. Et c’est pour ça que la lumière jetée par la pensée de la mort sur la vie devient précieuse, en nous rappelant que celle-ci est notre opportunité.  

Voilà donc que l’on revient au discours de départ: la mort qui n’est plus à voir avec ce halo macabre et à cacher à notre vue, mais au contraire à tenir présent dans la vie et dans les pensées de chaque jour comme une boussole pour diriger nos actions, comme un tamis pour discriminer ce qui nous appartient de ce qui nous est étranger.  
La pensée de la mort introduit aussi l'idée de l'héritage que nous laisserons après nous, à nos fils, au monde qui viendra. Et quel souvenir de nous voulons-nous laisser? 
Et aussi dans ce cas une page du livre, vraie clé de lecture de toute l'exposition, nous présente la vision de l'artiste à travers une citation d'Ezra Pound: 
“What thou lovest well remains,                            Ce que tu aimes vraiment reste,  
                the rest is dross                                                          le reste est scorie 
          What thou lov’st well                                              Ce que tu aimes vraiment
      shall not be reft from thee                                             ne te sera pas arraché 
        What thou lov’st well                                                Ce que tu aimes vraiment 
          is thy true heritage”                                                      est ton héritage vrai 

Pour BZanconato ce qui nous représente vraiment, l'héritage que chacun laisse est constitué par ce que l’on a aimé , par ce qui a été objet de notre passion. Et la raison de celà est reporté dans une autre page du même livre:
"chaque fois que nous essayons d'être meilleurs de ce que nous sommes, tout ce qui nous entoure devient aussi meilleur: c’est ici que la force de l'amour entre parce que quand nous aimons nous désirons être meilleurs de ce que nous sommes"
La pensée de la mort, donc, devient une stimulation précieuse pour développer au mieux nos possibilités, pour vivre intensément et consciemment chaque instant de notre vie. Cela fait apparaître la suggestion que BZanconato lance avec l'autre oeuvre en exposition dans le mur central : “WHOSE WORLD IS IT?” (C’est à qui le monde?), une sorte de masque bariolé de la mort qui certainement maintien des couleurs sombres (la douleur de la disparition reste, mais elle fait partie aussi de la vie), mais à celles-ci en combines des autres vives et moins inquiétantes: la mort c'est une sorte d'amie qui nous accompagne pour toute la vie et qui peut nous aider à donner un sens plus profond à notre existence.
Et ça nous renvoie à la silhouette étrange qui est assise sur le bateau, un crâne avec un corps et des traits humains qui est en train de fumer un cigare et qui, dans la symbolique de l'artiste, accompagne l'homme et son âme aussi dans le dernier passage à travers l'Achéron. 
Mais, comme dit, aussi à propos de "Whose world is it?", il ne s’agit pas d'une silhouette inquiétante mais au contraire ironique sinon amicale: il s’agit d’un ami qui a toujours été à nos côtés, qui nous a encouragés et nous encourage à sortir le meilleur de nous-mêmes. 

Pour résumer, Sahar représente pour BZanconato l'occasion d’ affronter le sujet délicat du sens de la vie. Et elle le fait en s’inspirant de ses événements personnels (la disparition du père), de ses expériences et de ses réflexions, pour faire observer que, au bout, la mort nous rappelle que la vie est un cadeau qu’il serait dommage de gaspiller.

Que la vie est notre occasion aussi pour laisser une trace durable de notre passage et que cette trace est constituée de la passion et de l'amour dont nous rhabillons les choses et les gens qui nous entourent. 
Et de manière qu'à la fin, pour citer la poésie "Larges Fragment" de Raymond Carver qui se retrouve dans une autre des pages du livre Spleen Flowers en expo, l’on puisse répondre que oui, l’on a obtenu ce qu'on voulait de la vie malgré tout: 
               "And did you get what                                 “Et as-tu obtenu ce que 
you wanted from your life even so?              tu voulais de cette vie, malgré tout? 
                             I did.                                                                       Oui.
             And what did you want?                                Et qu’est-ce que tu voulais?
              To call myself beloved                                      Pouvoir me dire aimé,
To feel myself beloved on the earth.”                     Me sentir aimé sur la terre.” 

*(voir G.Busi “Simboli del pensiero ebraico. Lessico ragionato in settanta voci” Einaudi)
Comme toujours, un grand merci à Thierry Mabille pour la révision de la traduction française.