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DER SUCHENDE
Salon International d'Art Contemporain ART3F de Paris
26-28 Janvier 2018 
Andrea Fallini
Après l’expo de Mulhouse, c’est à dire une discussion sur les incohérences d’attitudes et de positions communes concernant la violence à l'égard des femmes (et la violence tout court), sur les slogans qui nous bombardent tous les jours, sur les espaces de liberté que chacun de nous voit se réduire dans une société du paraître et non de l’être, B.Zanconato propose à Paris une nouvelle étape de sa saison narrative intitulée « DER SUCHENDE », qui nous invite à réfléchir sur des sujets complètement différents même si complémentaires aux précédents. 
Le scénario de référence est toujours la société contemporaine, avec ses paradigmes et ses contradictions. L’artiste rappelle que nous sommes en train de traverser une période de grands changements qui se manifestent à différents niveaux mais qui traversent et influencent la vie de chacun de nous. Une de ces choses est la grande impulsion donnée à l’échange d’info par le réseau globale, par internet et par les medias qui mettent à disposition les évènements importants qui se passent, même, dans les lieux les plus éloignés. Et en même temps, ils donnent aux déshérités du monde des espoirs de rachat inconcevables dans leurs zones d’origine et qui sont à la base des flux migratoires des dernières années. 
“WELTSCHMERZ”, la première œuvre du nouveau récit proposé par B.Zanconato, aborde ce sujet. L’artiste raconte que l’œuvre a été conçue suite à un des nombreux naufrages tragiques de bateaux pleins de réfugiés dans la Mer Méditerranée et du conséquent sentiment d’empathie et de peine qu’elle a éprouvée face au désespoir et à la mort de tant de gens. Ses mots définissent les minces figures métalliques placées au centre, qui semblent lancer des cris désespérés parmi les flots menaçants d’une mer sombre. Il est à noter que la scène est insérée à l’intérieur d’une sorte de boite qui n’est pas un cadre mais plutôt un écran au-delà du quel semblent se projeter les cris d’aide.  
Sur un plan différent, d’un côté, quasiment au dehors de l’œuvre, une autre figure humaine, esquissée par du fil de fer, semble vouloir prendre ses distances, s’éloigner de cette scène malheureuse. Dans la partie basse, une petite cascade de fils rouges à côté du titre de l’œuvre que B.Zanconato a imprimé sur une plaque métallique. « Weltschmerz » est un terme allemand avec une signification nuancée et qui, selon le contexte, représente ce sentiment de défiance ou de tristesse en face de la cruauté et des maux du monde, de cette sorte de souffrance, caractéristique des gens plus sensibles, liée à l’empathie que l’on peut éprouver en face de la douleur des autres. Et l’empathie est le sujet clé de cette œuvre.

L’empathie est, pour B.Zanconato, le symbole de la sensibilité humaine qui est confrontée avec un autre symbole sur lequel se joue la dialectique de l’interprétation: celui du boitier/écran (qui pourrait être l’écran télé ou celui d’un ordinateur) qui transforme les tragédies humaines en images de divertissement. L’écran, en effet, est une surface ambiguë, sur laquelle se projettent faits, informations et nouvelles de tous types mais aussi programmes de spectacle dans lesquels la distance de la réalité vient spécialement amplifiée. Sur l’écran tout se mélange et apparait distant. Et tout devient réalité virtuelle, dissimulation et spectacle: même les tragédies rapportées par les infos. Tout devient indistinct: réalité ou spectacle? vrai ou artefact?
Un chaos dans lequel se confrontent et se mélangent la douleur d'autant d’humanité et la faible attention empathique de ceux qui se trouvent en face de l’écran à la recherche de distraction et légèreté (souvent après une des nombreuses journées difficiles de travail).
Oui, parce que, si d’un côté les réfugiés sont en train de fuir des situations tragiques, d’un autre côté même le citoyen européen ordinaire se retrouve à faire face à des problèmes et difficultés qu’il n’avait jamais abordés. Par ailleurs, ce sont des temps difficiles, ou mieux, de rapide changement. Tout est en train de changer parce que les modèles consolidés ne sont plus capables de répondre aux exigences nouvelles. Le monde des communications en temps réel, des déplacements faciles, des comparaisons rapides que chacun de nous peut effectuer avec les moyens technologiques à disposition sont en train de rendre obsolètes les concepts mêmes de nations, de frontière. 
Le monde du travail est en changement continu à cause de la mondialisation de l’économie et des échanges économiques, dans lesquels les sociétés déplacent fabrications, établissements et personnel sur la base de logiques de profit simples et inexorables. Les grandes multinationales, bien structurées pour mieux profiter des lois nationales et supranationales, ont renversé les paradigmes de droit et de stabilité du travail, en mettant sur le plateau de la balance de la négociation avec les gouvernements centraux la question, si-non la menace, de la possible fermeture des grands établissements (à rouvrir dans des pays où le coût du travail et la fiscalité sont plus favorables). En conséquence même les modèles sociaux, en général basés sur une certaine uniformité de visions et de conditions, même économiques, des composants, ne sont plus capables de tenir compte de la variabilité croissante du scénario de référence et des conditions de la population, ainsi que de sa multi-ethnicité augmentée (c’est-à-dire cosmopolitisme). Et la crise économique-financière des dernières années a accéléré ces processus, déjà démarrés dans les années ’80 et ’90.
Sur un niveau différent, même le traditionnel concept de famille est sévèrement mis à l’épreuve: rythmes de vie qui ne laissent pas assez de place au temps partagé dans le groupe familial, vont s’ajouter au crépuscule de la traditionnelle répartition des rôles de couple, vu que le développement technologique a fait devenir la plupart des activités à la portée musculaire de tous. En plus, garder le haut niveau de vie (et de consommation), caractéristique de l’existence contemporaine, demande l’apport économique des différents composants du nucleus familial. Et des périodes de profonde crise économique, comme celles d’aujourd’hui, vont déterminer un certain essoufflement pour garder les positions (même sociales) obtenues dans le passé et la peur de n’être plus en mesure de tenir le même style de vie et de perdre ce que l’on a. Et cette peur crée des fantômes…
Une situation qui pourrait apparaître chaotique, sans points de référence et qui, en effet, apparaît comme cela à beaucoup. Aussi parce que les mentalités et attitudes, règles et lois établies dans des temps (et mondes) différents et lointains coexistent et finissent par ralentir (si non empêcher) le changement (inexorable) qui est en train de se produire. Dans la saison de l’élimination des frontières, voilà le retour de tendances nationalistes (ou même régionalistes comme Brexit ou l’affaire Catalogne) ou, encore pire, nazi-fascistes. Dans l’ère du transport et de la circulation globale, voilà que le trafic aérien provenant de certains Pays est empêché. 
C’est exactement un « CHAOS », comme l’œuvre homonyme que l’artiste a choisi de placer sur le mur central de l’expo et qui est le symbole parfait de cette situation de cohabitation entre des éléments épuisés et d’autres dans lesquels l’on aperçoit la contemporanéité, entre des parties dans lesquelles est évident l’effet du temps et celles dans lesquelles la patine est sans doute actuelle. À l’arrière-plan, le consumérisme qui, avec le replacement rapide des biens de consommation, produit des déchets (même de nature humaine), ordures à éliminer, matériaux désaffectés qui, après tout, sont ceux que l’artiste a employé de façon magistrale pour son œuvre. Il s’agit, sans doute, d’une cohabitation difficile à faire correspondre. En effet, en quelques endroits, les éléments ont des bords qui ne s'assemblent pas parfaitement mais ça fait partie des choses: le vieux et le nouveau n’ont jamais une exacte correspondance… le « CHAOS » est aussi cela.  
« CHAOS » est la reprise du terme grec employé par l’artiste comme représentation de la contemporanéité, de la perte de points de référence : c’est comme se mouvoir dans l’obscurité, à l’aveuglette.  
Mais qu’est-ce que c’est la vie? N’est-ce pas exactement se mouvoir à l’aveuglette sans savoir vraiment quel est le cours que nous sommes en train de prendre? Est-ce que ce n’est pas aussi injustice, douleur, mal, difficultés et incertitudes… sans un pourquoi? 
Cette question introduit une autre œuvre : « HIER IST KEIN WARUM ». La phrase allemande, qui littéralement signifie « ici il n’y a pas de pourquoi », est une citation du livre « Si ceci est un homme » par Primo Levi, dans lequel l’auteur raconte son expérience tragique de Juif déporté à Auschwitz. En particulier, à l’arrivée au lager, bouleversé pour le traitement réservé aux prisonniers, Levi demande à tout le monde avec insistance pourquoi (warum) jusqu’à quand, un de ses copains lui répond : « Hier ist kein warum » (ici il n’y a pas de pourquoi). B.Zanconato raconte que l’œuvre est née d’un fait d’info concernant le camp d’Auschwitz: dans les premiers mois de 2016, une bague et un collier ont été retrouvés dans un double-fond d’une tasse émailléE qui appartenait à une des victimes du lager. «Il m’est semblé que l’amour parlait encore par cette bague, même d’un lieu où dignité et amour étaient devenus pour des millions de personnes des concepts sans sens. Un signe d’espoir.
J’ai pensé à combien de fois cette personne – pour moi une femme – s’était donnée du courage en serrant entre les mains cette tasse dont le trésor caché voulait dire « Moi, je survivrai » ».
Et avec cette œuvre B.Zanconato révèle, avec son langage symbolique, un autre paradigme de sa vision: c’est l’amour, le sentiment, la perspective humaine qui donne un sens à l’existence, qui nous donne cette énergie nécessaire à faire face aux défis les plus durs (et qu’est-ce qu’il y a de plus dur que le lager d’Auschwitz ?). Et tout ça par l’exemple de l’anonyme héroïne d’Auschwitz, qui a su garder, méprisante du danger, le simulacre de sa propre humanité sous la forme de bijoux qui la reliaient à son aimé. Bien sûr, ceci n’a pas sauvée sa vie mais certainement  a empêché son anéantissement comme être humain, c’est-à-dire a empêché que ses sentiments et, en conséquence, son essence humaine,soient annulés. Et c’est ça que B.Zanconato veut confirmer même aujourd’hui : les temps ont changés, il n’y a plus les camps d’extermination (au moins npas dans nos sociétés occidentales). Toutefois, un peu comme dans les lagers nazis, nous ne sommes que des numéros plongés dans un mécanisme où seulement les bilans économiques, les données statistiques, les trends… sont importants et où les personnes, leurs sentiments, leurs diversités et leurs souffrances ne rentrent pas en jeu. Dans cette situation, les gigantesques bureaucraties européennes (peut-être pas si éloignés de la machine bureaucratique nazi, qui, par le morcellement des tâches et par les technicismes a su faire oublier à son personnel les horreurs, cachés derrière les opérations quotidiennes) certainement ne mettent pas l’individu et ses exigences au centre de l’attention… même et surtout dans ces temps complexes à interpréter. D’ailleurs, c’est toujours plus simple et plus confortable d'éteindre son cerveau et sa propre conscience et suivre et appliquer des procédures tombées de haut…
D’un autre côté, c’est difficile de sortir de cette impasse. Il n’est pas recommandable d’aller contre les règles sur lesquelles se fonde la société bureaucratique contemporaine, qui a mis de plus en plus au point les outils de répression. Par contre, l’on ne comprend plus le sens de cette  présence obsessionnelle, si-non ingérence, du système bureaucratique, avec son pouvoir de vie et de mort sur tant d’entreprises et initiatives, sur la vie des gens, souvent bloqués dans leurs tentatives d’entreprendre. «HIER IST KEIN WARUM».
Plongés dans ce monde dans lequel les héritages (non seulement idéologiques) du passé continuent à gouverner le présent et dans lequel le nouveau scénario, très diffèrent de celui des générations précédentes, demande de grandes réflexions et changements au niveau politique, économique et social, il nous ne reste plus que prendre acte de ce moment d’impasse. Celà pourrait sembler un combat intergénérationnel et, peut-être, c’est comme celà, mais ce sont surtout les jeunes (en Italie comme dans d’autre coins d’Europe) qui se trouvent dans la difficile position de payer le prix de choix et de décisions scélérates prises par les générations précédentes.
« Hier ist Kein warum », ou, peut-être, oui, mais l’on ne peut rien faire jusqu’à ce que les temps (ceux-là seulement?) soient mûrs. 
Cette difficulté de changer les choses, avec l’évidence que garder l’état actuel ne peut que aggraver la situation entraîne pas mal de découragement et déception. Mais c’est aussi l’occasion pour avoir une réflexion profonde. C’est cette l’indication que B.Zanconato nous offre avec « DARKNESS ». L’artiste évoque aussi une de ses poésies qui résume le sentiment exprimé dans l’œuvre :
“… enveloppé dans l’obscurité sombre et humide 
Seulement le bruit d’une pluie métallique 
qui, incessante, tombe dans mon coeur . 
 
Chacun doit réorganiser le chaos qu’il a dedans. »

“Chacun doit réorganiser le chaos qu’il a dedans”: et cette phrase lapidaire, caché dans l’œuvre même, c’est le point. Cette opération de réorganisation, de rangement devient nécessaire dans les moments plus difficiles, dans lesquels l’on aperçoit le besoin de se libérer des poids inutiles. Il s’agit de se concentrer sur les questions les plus importantes et de réviser l’échelle des valeurs : il s’agit de reconnaitre la personne que nous sommes vraiment.
C’est vrai : ça demande de la force, une force que probablement nous ne pensons pas avoir mais qui est là, au fond. Comme celle qu'a su trouver la personne qui a caché les bijoux dans le double-fond de sa tasse à café à Auschwitz ou comme celle que Nelson Mandela, dans ses longues et dures années de détention dans les prisons sud-africaines pour son opposition à l’apartheid, a su trouver en lisant un poème de W. E. Henley et qui a donné l’inspiration pour une autre œuvre en expo : « OUT OF THE NIGHT » (« du fond de la nuit »). 
Et c’est cet encouragement que B.Zanconato veut lancer avec “OUT OF THE NIGHT”: il n’existe aucune épreuve, aucune situation qui peut anéantir cette force, qui peut éteindre notre âme.
Les situations plus difficiles, les épreuves plus sévères, les blessures plus profondes ont la capacité de nous laisser des signes mais aussi celle de réveiller nos ressources plus profondes. Ressources qui, souvent, dorment dans une léthargie dictée par l’ennui de la vie contemporaine, pas mal de fois vécue de reflet, à la poursuite de désirs collectifs (et donc pas à nous) et qui, après, ne nous apaisent pas vraiment une fois atteints. Au contraire, d’une certaine manière, les difficultés, les moments difficiles sont l’occasion pour découvrir nos ressources cachées, et, au bout du compte, pour découvrir que, comme dit le poème de W.E. Henley : « Peu importe … à quel point la vie (soit) pleine de punitions. Je suis le patron de mon destin : je suis le capitaine de mon âme ».
Et « DIVENIRE » (devenir), une œuvre suivante, est la représentation du moment exact dans lequel l’on aperçoit cette force inconnue. C’est un bout de ciel dans la nuit la plus profonde, une perspective qui s’ouvre après un regard dans l’obscurité, une peau nouvelle qui apparait au-dessous de celle qui est en train de se craqueler. C’est un moment emblématique qui fait démarrer ce processus de changement (exactement devenir) avec lequel commence à se manifester notre vraie personnalité, c’est-à-dire l’âme indomptable dont parle le poème de Henley (ici la liaison est évidente avec quelques thèmes abordés par l’artiste dans l’expo précédente «TESHUVA’» : la relation entre l’individu et la société, l’introspection, la solitude, le mythe de Er…). Il s’agit d’une vraie et propre libération: comme d’une personne qui a été détenue longtemps et qui maintenant aspire à revoir la lumière, ou mieux, à venir au monde. 
Et ça introduit l’œuvre suivante : « RÙACH ». Rùach est un terme juif (רוח) qui littéralement signifie respiration/souffle ou vent mais qui souvent est utilisé même pour indiquer l’esprit. Et l’artiste a mis un de ses poèmes pour accompagner l’œuvre, un poème qui décrit ce sentiment de libération :  
… sous couches et couches de sédiments… 
… j’ai creusé et creusé… 
… en arrière d’épais manteaux,
rideaux d’un décor pas à moi, 
j’ai cherché et cherché… 
 
… au but, au plus profond, 
liée par milles chaines, 
les bras serrés de mille lacets, 
aux chevilles mille souches, 
a la bouche mille bâillons… 
 
…faible, mais encore en vie, 
j’ai essayé de la libérer,  
de dissoudre les lacets, 
d’ouvrir les souches,
d’enlever les bâillons…. 
 
… elle a commencé à respirer mieux,
elle a lentement déplacé les branches… 
 
… de la bouche, un cri libératoire et de défi… 
 
Je l’ai reconnue: 
c’est moi. 

Avec « RÙACH »  B. Zanconato joue un peu avec les différentes significations du terme. Sur le plan visuel pur, la figure, prise au-delà d’une sorte de barrière formée de vieux morceaux de bois, émerge pour prendre une longue respiration, pour prendre l’air (rùach). Sur le plan symbolique, elle représente l’esprit (rùach) qui, pour pas mal de temps a été enfermé dans les coins les plus obscurs de notre être et qui, suite au démarrage du processus de découverte, est finalement libéré, en émergeant des profondeurs avec une respiration (toujours rùach). Et celui-ci est l’élément fondamental dans la vision philosophique de l’artiste: notre âme, notre esprit est, comme dit Henley, indomptable mais il demande à être libéré. Il faut découvrir et récupérer notre essence profonde et sur elle bâtir notre vision de la vie qui ne coïncide nécessairement pas avec la vision du monde proposée par la société. Au contraire, le monde contemporain c’est un « chaos », une sorte de supermarché global, dans lequel tout coexiste et suit les logiques de l’offre et de la demande. Tout est en vente; tout a une valeur toujours et seulement monétaire. Hélas, après l’on s’aperçoit que cette vision financière de la vie, à bref terme, est précaire et incapable de sortir les réponses que nous voudrions. 
D’un autre côté, même la condition humaine est caractérisée par la précarité. Une mauvaise vision de la science nous a amené à penser pouvoir dominer les évènements et la nature, mais évidemment ça ne se passe pas comme ça: les conséquences des changements climatiques en acte en sont un exemple. En tous les cas il s’agit d’illusions : « soit que l’homme écarquille les yeux ou qu’il simule de ne pas voir…. de toute façon il ne voit rien et il avance à tâtons sur l’obscure route de la vie ».
Et ceci c’est le sujet de « EQUILIBRIO » (équilibre). B.Zanconato explique que l’oeuvre est une représentation de la condition humaine, c’est-à-dire de « un équilibre subtil entre merveille et abîme : nous pouvons ressentir des grandes joies mais un instant après, sans préavis, tomber dans l’obscurité la plus profonde. De la même façon, exactement quand nous sommes au bord d’un précipice, quelque chose ou quelqu’un peut nous tendre une main et nous changer la perspective.
À la minute où une personne a pris conscience de cette situation, pour survivre sur le chemin de la connaissance, il ne peut que assumer l’état d’esprit du guerrier qui – comme dit don Juan, le shaman maitre de Carlos Castaneda – maintien en équilibre la terreur d’être un homme avec le miracle d’être un homme». Et c’est exactement cette phrase que l’on retrouve, en anglais, à la base de l’œuvre : « the terror of being a man with the wonder of being a man ». Si d’un côté l’existence vraie doit tenir compte de la mort, de l’abîme, du rien, de l’autre elle représente notre opportunité, unique et irrépétible, qu’il faut jouer avec un nôtre, personnel, vrai sens de la vie et pour laisser un signe de notre passage.
Et ça nous porte à une autre œuvre en expo : « DENKEN OHNE GELANDER ». « Denken ohne gelander », en allemand « penser sans balustrades », c’est-à-dire en pleine liberté, est un des messages que nous a laissé Hannah Arendt. La pensée est un dialogue avec nous-mêmes et représente notre réaction face aux choses, aux situations, au monde.
C’est aussi le moyen pour se créer notre vision qui, après, devient la base de l’agir personnel et qui s’oppose au conformisme, à la massification et à la passivité de la pensée même, des sentiments et comportements qui souvent sont déterminés par l’homologation. Le penser (denken) c’est une façon pour affirmer notre propre individualité, c’est l’affirmation du subjectif par rapport à ce que, de plus en plus, est vendu comme objectif (si-non scientifique). C’est aller contre le vent, même parce que quelque fois la pensée ne trouve pas les réponses aux questions qu’elle pose. Si alors, la condition de l’homme est caractérisée par une précarité intrinsèque qui, de l’autre côté devient une opportunité à jouer au mieux dans le moment où cette situation vient métabolisée, la pensée personnelle (denken) devient l’élément fondamental pour l’exploiter. Penser sans balustrades (denken ohne gelander), de façon créative, en pleine liberté, devient la clé pour donner un sens à une existence qui, si non, ne serait pas à nous. Ça ne signifie pas résoudre les maux du monde : mais, à partir de la considération du chaos, de l’inéluctabilité du destin final qui nous attend, ça signifie découvrir et mettre à profit les capacités et les talents dont nous sommes munis (et donner un sens à notre présence). Et c’est cette fondamentale analyse personnelle, que chacun peut conduire, la clé pour nous libérer des chaines de la contemporanéité qui, sous de fausses apparences, pousse au conformisme, à l’uniformité (et, en conséquence, l’absence) de pensée.

Et avec sa dernière œuvre, « DER SUCHENDE », qui donne le titre d’ensemble de l’expo, B.Zanconato lance une invitation : celle de la recherche. Comme celle de Siddharta, le protagoniste de l’homonyme roman de H. Hesse duquel cette œuvre (une autre devanture) prend inspiration. « Der Suchende », en allemand littéralement « celui qui cherche », représente pour l’artiste l’esprit de l’existence humaine : précisément la recherche. Recherche qui peut être conduite à différents niveaux. Par exemple, celle de notre vraie essence, la découverte et le développement de nos talents et, pour cela, la définition de notre pensée personnelle. En même temps, la recherche est ouverture, enrichissement, découverte d’idées et choses nouvelles. L’artiste même, en citant un extrait du livre de H. Hesse, rapporte sur une partie de sa devanture : « Personne n’arrivera à la libération par la doctrine ! Par des mots, tu n’arriveras à communiquer à personne ce qu’il s’est passé en toi au moment de ton illumination…
La doctrine ne contient pas le secret… Ceci est le motif pour lequel je continue ma pérégrination : non pour rechercher une autre et meilleure doctrine… mais pour abandonner toutes les doctrines et tous les maitres et atteindre tout seul ma destination… ».

« Der Suchende »
est alors un explorateur à la recherche de soi-même et du monde, et, comme un guerrier, il sait qu’il faut procéder avec prudence et, en même temps, décision dans la jungle dangereuse de l’existence, conscient du fait que chaque moment et chaque coin peut cacher sa fin. Mais c’est exactement ça qui la rend magique, unique et irrépétible, et comme telle, à affronter.
Un grand merci à Thierry Mabille pour la révision de la traduction française.